Acta Universitatis Danubius. Relationes Internationales, Vol 9, No 1 (2016)

European Studies



A Comparative Study between The Counterfeiters by Andre Gide and The Observations of Ahmet Mithat, a Point of View of Metafiction and Mise En Abyme



Fuat Boyacioğlu1



Abstract: We stated some literary resemblances between Les Faux-Monnayeurs/Counterfeiters (1925) d'André Gide (1869–1951) and Müşehadat/Observations (1891) of Ahmet Mithat Efendi, turkish novelist (1844–1913) the narrative methods and literary considerations concerning the novel, the fact that the process of writing the novel contitutes the subject of the novel itself, the critic of the naturalist school, the metafictive collaboration with the reader. Andre Gide and his works are worldwidely known. When he was alive, his works had been translated in twenty six languages and the studies on him passed fifty. The litterateurs appreciate the real place of Andre Gide by his novel innovations that he brought to the novel. On the contrary, the literary place of Ahmet Mithat and his contribution to the novel aren’t sufficiently appreciated. We aim to introduce the original side of Ahmet Mithat Efendi who wrote a metafictive novel thirty four years just before Andre Gide.

Keywords: Metafiction; Gide; Ahmet Mithat; Narrative Technique; Mise en abyme



1. Introduction

Dans cette étude comparative, nous avons tenté de faire la comparaison littéraire entre Les Faux-Monnayeurs (1925) d’André Gide et Les Observations (1891) d’Ahmet Mithat. C’est par cette étude comparative que nous avons constaté certaines ressemblances littéraires entre ces deux romanciers: la critique des écoles littéraires, surtout de l’école naturaliste, les considérations sur le genre romanesque, la prise en compte du lecteur, la mise en abyme, la communication métafictive de l’auteur avec son lecteur, le jugement des personnages par le personnage qui les crée en tant que romancier–narrateur, le fait que l’aventure de l’écriture est elle-même le sujet du roman, c’est-à-dire le roman du roman. Nous devons indiquer qu’il ne s’agit pas d’une interaction mutuelle entre Gide et Ahmet Mithat Efendi.

Les Faux-Monnayeurs d’André Gide sont un roman dont le sujet principal est l’écriture d’un roman en train de se composer; un roman où le romancier fictif se préoccupe da la réalité qui lui est présentée et sa stylisation; un roman de l’impossibilité de composer un roman parce qu’il est inécrivable; un roman qui fait référence aux différents procédés romanesques et remet en question le roman traditionnel et ses éléments constitutifs; un roman qui conteste le romanesque, l’illusionnisme de la fiction, les solutions traditionnelles du réalisme; un roman qui met les problèmes du roman au premier plan; un roman qui prend le lecteur en compte. Toutes ces caractéristiques novatrices nous montrent que Les Faux-Monnayeurs sont un roman fortement métafictionnel.

Les Observations d’Ahmet Mithat sont un roman où l’auteur devient l’un des personnages tout au long de la trame de l’intrigue; un roman qui nous présente un romancier et ses personnages qui tentent d’écrire un roman; un roman qui se réfère aux oeuvres textuelles et conventions romanesques; un roman dont l’action ne progresse pas linéairement et chronologiquement; un roman qui raconte le dialogue entre l’écrivain et ses personnages. Toutes ces caractéristiques des Observations nous montrent que nous sommes en présence d’un roman tout à fait métafictionnel.



2. L’Originalité des Faux-Monnayeurs et des Observations

Les Faux-Monnayeurs ont eu une grande influence sur le roman contemporain en contestant et en mettant en problématique le romanesque, l’illusionnisme de la fiction, les solutions traditionnelles du réalisme; en prenant pour sujet central les problèmes de l’écriture du roman à l’intérieur du roman lui-même; en recourant aux différents procédés d’autoréférence: mises en abyme, métalangage, pastiche ou parodie, allusions intertextuelles; en mettant au première plan les problèmes de narratologie, du point de vue et de l’écriture; en soulignant l’importance de la situation du narrateur, de la parole, de l’énonciation; en assignant au lecteur une part active d’enquêteur et de collaborateur avec l’auteur; en déclarant ses considérations sur le roman pur qui anticipent les réflexions et les théories des Nouveaux Romanciers et en constituant les ressources de la subjectivité narrative et du kaléidoscope des points de vue: le Nouveau Roman (Goulet, 1994, pp. 137-138). Toutes ces particularités novatrices des Faux-Monnayeurs exercent une grande influence sur les romans postérieurs.

Quant aux Observations d’Ahmet Mithat, elles occupent une place importante dans l’histoire du roman turc. Berna Moran accentue sur l’importance et la modernité de ce roman. Il le considère comme un “roman prétentieux” (Moran, 1994, pp. 47-56) qui possède de grandes et intéressantes similitudes avec le roman moderne ou postmoderne.

En effet, Ahmet Mithat a prétendu essayer consciencieusement une technique romanesque qui n’avait pas été appliquée jusqu’alors en Europe même (Mithat, 1979, p. 17). Les Observations occupent une place distinguée dans l’histoire du roman turc parce qu’Ahmet Mithat y a consciencieusement essayé une nouvelle technique originale: le récit d’écrire le roman devient le sujet du roman dans lequel prend place l’écrivain lui-même. Gide intervient en tant que narrateur dans la progression de l’histoire tandis qu’Ahmet Mithat y intervient en tant qu’auteur-narrateur en utilisant son nom dans la vie réelle dans le monde fictif de son roman.

On doit remarquer qu’Ahmet Mithat est le premier romancier turc remarquable qui spécule sur le tissu du roman par les modalités narratives analogues aux procédés de narration postmodernes. Dans son étude sur le roman Le Roman depuis Don Quichotte jusqu’à nos jours (Don Kişot’tan Bugüne Roman) Jale Parla dit qu’Ahmet Mithat doit être considéré comme fondateur du roman turc en insérant des variétés de langage et de discours et ses propres nouveautés de narration dans ses oeuvres (Parla, 2000, p. 75). En effet, Les Observations d’Ahmet Mithat sont un roman métafictionnel où il s’agit des nouvelles techniques romanesques lors qu’on l’apprécie par les critères de narration postmodernes. C’est ainsi que l’écrivain devient également l’un des personnages et que le processus d’écrire l’histoire des personnages constitue une dimension de la fiction du roman. On appelle le métaroman qui raconte son propre processus d’être écrit” (Parla, 1993, p. 73).

L’auteur-narrateur Ahmet Mithat et ses personnages qui contribuent à composer le roman en train de se faire, observent les événements et les personnages qui entrent dans l’orbite de l’action et tentent de recueillir des matières pour la formation du roman que l’auteur-narrateur est en train d’écrire. Les Observations écrites dans le temps où on a commencé à rédiger plus nouvellement le genre romanesque en Turquie ottomane sont un roman digne d’être étudié du point de vue du caractère métafictif. Les Faux-Monnayeurs qui donnent l’inspiration à beaucoup d’anti-romans et qui exercent une grande influence sur les romans postérieurs méritent également d’être étudiés. Les applications de la métafiction se manifestent dans les deux romans.



3. Narration Métafictive Dans le Roman

Qu’est-ce que la métafiction? Les origines de la tradition de métafiction dans le roman occidental remontent à Don Quichotte de Cervantès et à Tristram Shandy de Lawrence Sterne. K Munck dit: “j'envisage la métafiction comme un style postmoderne de littérature dans lequel l'écrivain se met en communication avec le lecteur ou la lectrice” (Munck, 2004). Ahmet Mithat et André Gide écrivent leurs romans en prenant leurs lecteurs en considération. Le terme “métafiction” désigne les romans dont l’objet thématique principal est la production romanesque ou la fabrication de la fiction. En d’autres termes, la métafiction est le récit du roman en train de se faire dans le roman lui-même en prenant le lecteur comme interlocuteur ou destinataire.

Les Faux-Monnayeurs et Les Observations sont les romans dont le sujet principal est le récit du roman métafictif en train de s’écrire. Dans les romans métafictionnels, une place importante est réservée au lecteur qui prend place directement ou indirectement dans le roman. Le lecteur discute, pour ainsi dire, la genèse du roman en train de s’écrire avec les personnages fictifs.

Les différentes variétés de la métafiction se manifestent dans les romans métafictionnels:

  • Narration d’une fiction dans une fiction;

  • Un roman qui présente un personnage-romancier qui écrit un roman métafictif dans le roman lui-même qui le contient;

  • Un roman qui présente un personnage lisant un roman dans le roman dont il est l’un des éléments constitutifs;

  • Un roman qui expose un autre roman dans lui-même, c’est-à-dire le roman du roman;

  • Un roman qui fait référence aux conventions spécifiques du genre de récit comme le titre, le paragraphe et l’intrigue;

  • Un roman non linéaire qui n’est pas lu dans un ordre chronologique du commencement à la fin. L’intrique de ce roman ne se progresse pas systématiquement; la composition de ce type de roman, peut laisser le lecteur perplexe: l’ordre chronologique n’est pas respecté et l’histoire est fragmentée et disloquée.

  • Un roman dont l’écrivain est l’un des personnages. Dans ce type de roman l’écrivain intervient pour dire ses idées;

  • Un roman similaire/parallèle qui présente de nouveau l’espace, le temps, l’intrigue ou les personnages d’un autre roman dans une autre perspective;

  • Un roman qui suppose préalablement la réaction du lecteur contre l’histoire qui lui est racontée;

  • Un roman qui raconte le dialogue entre l’écrivain et ses personnages.

Les Faux-Monnayeurs et Les Observations vont être étudiés à la lumière de ces variétés de métafiction.

La métafiction est réalisée par le procédé de la mise en abyme dans le monde fictif du roman. C’est grâce à cette technique narrative que les problèmes du roman ou du roman qui s’écrit ou ne s’écrit pas sont transposés et discutés à l’échelle des personnages devant le lecteur avec qui le romancier se met en communication.

3.1. La Mise en Abyme Dans Les Faux-Monnayeurs

Dès 1893, Gide songeait à appliquer le procédé de mise en abyme dans ses œuvres. Par l’intermédiaire de ce procédé narratif, il retraite le sujet de son roman lui-même dans le roman lui-même. C’est ainsi que le sujet du roman est réfléchi et discuté à l’intérieur du roman par ses personnages. Gide dit à ce sujet: “J’aime assez qu’en une œuvre d’art on trouve ainsi transposé à l’échelle des personnages le sujet même de cette oeuvre” (Gide, 1948, p. 41).

Gide donne un nouveau sens et une nouvelle richesse à cette technique narrative. C’est en attribuant une importance nouvelle au procédé de mise en abyme que Gide est considéré comme précurseur des Nouveaux Romanciers (Schneider, 1977, p. 4) et des romanciers qui tentent de composer des anti-romans où les problèmes du roman sont traités et discutés par les personnages. Dans Les Faux-Monnayeurs, la technique narrative de mise en abyme présente plusieurs fonctions littéraires tout au long du roman: la lecture verticale, l’envers du romanesque dans le roman lui-même, la rétroaction de l’écriture sur son écrivain, l’exposition de l’aventure de l’écriture ou du roman de l’échec. On va exposer ces fonctions littéraires de la mise en abyme dans Les Faux-Monnayeurs.

En multipliant les micro-historiettes dans la trame de l’intrigue de ses oeuvres, Gide refuse la lecture horizontale et chronologique du roman traditionnel dont l’action se déroule dans la linéarité depuis le commencement jusqu’à la fin du roman. Gide dénonce le romanesque par la mise en abyme. La plupart des romans de Gide sont les romans du roman où il s’agit de l’envers romanesque, c’est-à-dire de la contestation du romanesque. Cette contestation se réalise par le procédé de mise en abyme. Selon Jean Ricardou, le roman du roman s’opère par la mise en abyme qui est une micro-historiette où il s’agit du refus du romanesque (Ricardou, 1975, pp. 173-182). Gide remet en problématique le romanesque par les micro-historiettes placées en abyme dans Les Faux-Monnayeurs. Ces micro-récits reflètent le sujet du roman comme un miroir à l’intérieur du roman lui-même.

En contestant et en rejetant le romanesque par la mise en abyme, Gide procède à la fois à l’auto-création et à l’auto-destruction du roman par lui-même. Les Faux-Monnayeurs sont le roman de l’impossibilité d’écrire le roman parce qu’ils nous imposent que le roman est inécrivable par les considérations littéraires de Gide sur le roman. Gide exige que toute son oeuvre soit rongée de l’intérieur et porte en elle sa propre réfutation afin d’empêcher que l’illusion romanesque fascine l’esprit du lecteur et qu’il considère le fictif comme réel. L’oeuvre de Gide est “rongée de l’intérieur se détruisant au fur et à mesure qu’elle progresse” (Raimond, 1985, p. 77). Gide dit: “J’aime aussi que chaque livre porte en lui, mais caché, sa propre réfutation et ne s’assoie pas sur l’idée (...) j’aime qu’il porte en lui de quoi se nier, se supprimer lui-même (...)” (Gide, 1958, p. 1479). L’aventure de l’écriture composée en abyme dans les micro-historiettes vise à “mettre en évidence la construction mutuelle de l’écrivain et de l’écrit” (Dallenbach, 1977, p. 26).

3.2. La Mise en Abyme Dans Les Observations

La communication métafictive d’Ahmet Mithat avec ses lecteurs dans Les Observations constitue les réalisations de la mise en abyme puisque l’auteur-narrateur expose ses visions littéraires dispersées tout au long du roman en s’adressant à ses lecteurs.

Il est très intéressant qu’Ahmet Mithat romancier turc avait pratiqué avant trente ans certaines techniques narratives qu’André Gide a habilement et consciencieusement appliquées dans Les Faux-Monnayeurs. Dans l’époque de la littérature turque de Tanzimat où l’on commençait à écrire nouvellement des romans en Turquie, Ahmet Mithat avait rédigé son roman prétentieux “Les Observations (Müşahedat)”.

Ahmet Mithat s’efforce de composer un roman naturaliste avec Les Observations considéré comme un roman métafictionnel par les critiques littéraires (Demir, 2002, p. 5). Avant d’avoir énuméré ces étapes de l’écriture du roman futur, Ahmet Mithat s’entretient unilatéralement avec ses lecteurs au début de son roman. Le chapitre intitulé “Causeries avec mes lecteurs” des Observations constitue une micro-historiette, c’est-à-dire une mise en abyme parce que l’auteur-narrateur Ahmet Mithat y donne à ses lecteurs l’indice de ce que son roman futur sera et ce qu’il ne sera pas. Ses considérations littéraires dispersées tout au long du roman constituent également une mise en abyme. En faisant des intrusions pendant la gestation et la formation du roman, Ahmet Mithat déclare ses considérations littéraires, morales et philosophiques.

L’application de la mise en abyme se réalise par deux formes différentes dans les romans. La première forme très connue est la mise en abyme appliquée à l’aide des micro-récits qui, d’après la définition de Jean Ricardou, résument tout le récit qui les contient ou qui contredit le fonctionnement du texte (Ricardou, 1975, pp. 50-75). La seconde forme de la mise en abyme se trouve appliquée à l’aide de la représentation du personnage-romancier fictif ou de l’auteur-narrateur qui s’efforce de composer son roman en train de se faire ainsi qu’Ahmet Mithat l’est dans Les Observations et d’exposer ses visions littéraires dispersées tout au long du roman. Les conceptions littéraires, les idées romanesques et les considérations littéraires sur quelques écrivains et romanciers de l’auteur-narrateur Ahmet Mithat sont placées “en abyme” dans tout au long des Observations.

Le chapitre intitulé “Causeries avec mes lecteurs” est un discours composé en abyme des Observations qui sont le roman du roman parce qu’Ahmet Mithat partage ses idées sur le roman qu’il va écrire et ses considérations littéraires avec ses lecteurs à qui il s’adresse de temps en temps. La causerie avec les lecteurs a été composée en abyme au début du roman parce qu’elle résume tout le roman en train de se faire. On va exposer les considérations littéraires d’Ahmet Mithat sur le roman réaliste et naturaliste composées en abyme dans le chapitre des Causeries avec mes lecteurs.

De plus, Ahmet Mithat considère comme naturel sa présence en tant qu’auteur-narrateur dans le monde fictif de son roman. Il dit à ce sujet: “Je considère comme naturel ma présence en tant qu’un personnage dans ce roman” (Mithat, 1979, p. 18). Dans ce tel roman l’écrivain intervient au fil de l’action pour exposer ses idées. Ahmet Mithat se mélange parmi ses personnages en tant qu’auteur-narrateur et il s’efforce de composer avec la collaboration de ses personnages son roman Les Observations dont le sujet devient l’écriture d’un roman.

Les références d’Ahmet Mithat aux romanciers français tels que Emile Zola, Alexandre Dumas Fils et Abbé Prévost dans son roman et de plus aux autres écrivains tels que Daniel Huet, Madame Emile de Girardin et Larousse, constituent des parties de mise en abyme décrite ci-dessus comme seconde forme parce qu’Ahmet Mithat se réfère aux perspectives romanesques de ces romanciers du point de vue antithétique ou révélatrice.

C’est ainsi que Les Observations sont un roman où l’auteur est l’un des personnages; un roman qui nous présente un romancier et ses personnages qui tentent d’écrire un roman métafictif; un roman qui se réfère intertextuellement aux oeuvres littéraires et aux conventions romanesques; un roman dont l’action ne se progresse pas linéairement et chronologiquement; un roman qui raconte le dialogue entre l’écrivain et ses personnages.

Les Faux-Monnayeurs d’André Gide et Les Observations d’Ahmet Mithat sont les romans métafictionnels ou les romans du roman réalisés par le procédé de la mise en abyme. Gide plus rusé qu’Ahmet Mithat, ne s’installe pas lui-même en tant que romancier dans le monde fictif du roman, mais il se sert d’un délégué nommé Edouard afin de donner l’impression de ce qu’il n’intervient pas dans la vie et la volonté des personnages parce qu’il se dresse contre la vision illimitée loin de la vraisemblance. Ahmet Mithat lui aussi tâche de composer son roman par la vision limitée parce qu’il prétend que les événements et les personnages sont présentés par ses propres observations et celles de ses personnages.

3.3. La Narration Multiple et Circulaire Dans Les Faux-Monnayeurs

Comme les romanciers mentionnés ci-dessus, Gide lui aussi se dresse contre le roman où l’action est dominante. Chez lui il s’agit de la désagrégation de l’action et on ne voit pas une seule action centrale vers laquelle convergent tous les autres incidents, mais il s’agit de la coexistence des événements. Il décentralise l’action afin que le roman perde son caractère romanesque. Car la narration linéaire et continue d’une histoire donne lieu au fait que lecteur s’enfonce dans les rêveries en s’identifiant avec les personnages créés par le romancier dans son imagination

Dans ses romans Paludes, Prométhée mal enchaîné et Les Caves du Vatican, Gide remet ironiquement en question l’histoire dont il veut se débarrasser. Il s’agit de l’absence d’action ou peu d’événements dans Paludes et de la répétition lassante de la même histoire pour que le romanesque soit toujours tenu sous la pression dans Prométhée mal enchaîné et de la multiplicité des récits dans Les Caves du Vatican.

Dans Les Faux-Monnayeurs il ne s’agit pas d’une seule action centrale que tissent plusieurs personnages, mais de la coexistence des événements autour desquels tournent de nombreux personnages. Gide nous présente plusieurs événements ou micro-récits: l’émission des fausses monnaies, le récit de Bernard, le suicide de Boris, la leçon de biologie de Vincent, l’effort d’Edouard pour écrire un roman, les épisodes des conflits entre les générations.

Gide remet en problématique la narration de la réalité extérieure. D’un côté il s’agit de l’événement ou la donnée extérieure devant le romancier, d’autre côté il s’agit de l’effort du romancier pour la styliser. Voilà que tout le problème réside dans cette stylisation du romancier. C’est la source des discussions de présenter la réalité dans le monde fictif du roman. Dans son Journal des Faux-Monnayeurs, Gide exprime ce fait: “D’une part l’événement, le fait, la donnée extérieure; d’autre part l’effort même du romancier pour faire un livre avec cela. Et c’est là le sujet principal” (Gide, 1927, p. 49).

Dans ses Faux-Monnayeurs, son personnage-romancier dit ses amis dans le même sens:

Ce que je veux, c’est présenter d’une part la réalité, d’autre part cet effort pour la styliser (...) pour obtenir cet effet, suivez-moi, j’invente un personnage de romancier que je pose en figure centrale; et le sujet du livre, si vous voulez, c’est précisément la lutte entre ce que lui offre la réalité et ce que, lui, prétend en faire” (Gide, 1925, pp. 232-233).

Ce qui est très frappant dans Les Faux-Monnayeurs c’est que le romancier Gide installe dans son roman un personnage-romancier fictif nommé Edouard et que celui-ci place lui-aussi un personnage-romancier métafictif nommé Audibert dans son roman métafictif qui porte le même titre que celui de son auteur Gide. Le personnage -romancier métafictif Audibert placerait probablement un personnage-romancier dans son roman métafictionnel et cela continuerait ainsi de suite à l’infini. La réalité et sa stylisation ou sa représentation dans le monde fictif du roman devient une préoccupation essentielle pour Gide. Gide refuse la narration chronologique et linéaire visant à une action basée sur l’enchaînement des causes et des conséquences voulu par le positivisme

La contreverse littéraire entre Roger Martin du Gard et Gide nous montre que celui-ci s’oppose à la narration chronologique des événements dans le roman et qu’il adopte la narration circulaire plus convenable que la narration linéaire. En réalité, aucun événement ne se passe chronologiquement mais de biais et circulairement dans la vie réelle. Selon Michel Raimond “il n’y a jamais de vrais commencements dans la vie comme il y en a dans les romans” (Raimond, 1968, p. 209). Gide brise la linéarité chronologique de l’histoire par la narration circulaire qui empêche la ficticité romanesque des romans.

Gide reproche à la narration linéaire et chronologique du récit dans son Journal des Faux-Monnayeurs:

La vie nous présente de toutes parts de quantité d’amorces de drames, mais il est rare que ceux-ci se poursuivent et se dessinent comme a coutume de les filer un romancier” (Gide, 1927, p. 89).

La répétition est nécessaire dans la narration circulaire. La vie humaine est généralement monotone et circulaire. On vit les mêmes jours à plusieurs reprises. La répétition étant le plus essentiel élément de la narration circulaire est utilisée dans l’anti-roman. Gide apporte des nouveautés narratives et ouvre la voie au roman moderne en brisant la prépondérance d’une seule action, en la décentralisant, au contraire en présentant la coexistence des événements, en remettant la réalité extérieure et sa stylisation dans le monde fictif du roman en problématique, en faisant la multiplication des points de vue pour arriver objectivement à la réalité, en refusant la narration chronologique et linéaire de l’histoire et en revanche en utilisant la narration circulaire.

3.4. La Narration Pluraliste Du Récit Dans Les Observations

Ahmet Mithat expose et raconte l’histoire par la diversité des points de vue soumise à la diversité des personnages qui se mêlent à l’action et qui vivent les événements. Il veut parvenir à la réalité subjective en faisant la multiplication des points de vue des différents personnages.

En prenant contact métafictif avec leurs interlocuteurs, c’est-à-dire leurs lecteurs dans le monde fictif des Observations et des Faux-Monnayeurs Ahmet Mithat et Gide expriment leurs idées sur l’art de roman, les techniques narratives, la structure du récit, les écoles littéraires, les personnages. Les personnages de Gide contribuent à composer Les Faux-Monnayeurs et ils deviennent, à leur tour de rôle, les narrateurs sur qui agissent les événements. Les personnages d’Ahmet Mithat eux-aussi contribuent à la gestation du roman métafictif. Les deux romans sont le roman du roman en train de se faire.

Ahmet Mithat veut exprimer comment les romans traditionnels ont créé un monde romanesque qui fascine et influence l’esprit du lecteur traditionnel considérant comme réalité la fiction imaginairement fabriqué dans l’imagination du romancier. La convention de la création littéraire du romancier traditionnel présente la fiction comme si elle était réelle.

André Gide lui aussi veut débarrasser le roman des scories. Dans son Journal des Faux-Monnayeurs, Gide en tant qu’auteur expose son idée de purification du roman:

Purger le roman de tous les éléments qui n’appartiennent pas spécifiquement au roman. On n’obtient rien de bon par le mélange” (Gide, 1925, p. 64). Gide exprime ce que le roman ne doit pas être. Il continue à prétendre qu’aucun romancier n’est arrivé au roman pur sauf Stendhal qui s’en approche mieux mais qui n’arrive pas” (Gide, 1925, p. 64).

De même, il déclare cette idée sur le roman pur dans ses Faux-Monnayeurs par la bouche de son personnage-romancier Edouard:

Dépouiller le roman de tous les éléments n’appartiennent pas spécifiquement au roman. De même que la photographie naguère débarrassa la peinture du souci de certaines exactitudes, le phonographe nettoiera sans doute demain le roman de ses dialogues rapportés dont le réaliste souvent se fait gloire. Les événements extérieurs, les accidents, les traumatismes appartiennent au cinéma; il sied que le roman les lui laisse. Même la description des personnages ne me paraît point appartenir proprement au genre. Oui vraiment il ne me paraît pas que le roman (...) ait à s’en occuper” (Gide, 1925, p. 93).

Ahmet Mithat applique cette conception du roman dans ses Observations. Le romancier-narrateur Ahmet Mithat fait l’investigation comme un historien et fait la collection des informations concernant les personnages avec qui il parle et interview et il se servit des nouvelles de journal et des documents afin de donner l’impression que ses écritures sont vraies.

Avant de rédiger Les Faux-Monnayeurs, André Gide lui aussi fait l’observation et la documentation. Il a emprunté le sujet de son roman à l’événement de fausse monnaie écrite dans Le Figaro, à celui du suicide d’un lycéen nommé “Nény âgé de quinze ans à peine au lycée Blaise Pascal, à Clermont-Ferrand, en pleine classe, s’est fait sauter la cervelle d’un coup de revolver” (Gide, 1927, p. 103) et celui du vol d’un livre par un enfant chez le bouquiniste.

Contrairement à Gide, Ahmet Mithat prenant place en tant qu’auteur-narrateur parmi les personnages du roman, fait l’observation et la documentation dans le roman lui-même.

En faisant des retours en arrière au fil du récit, Ahmet Mithat fait la narration du passé dans le présent. C’est en utilisant le temps présent qu’il a voulu arracher l’histoire au domaine des choses accomplies pour la situer dans un présent en voie de devenir. Le présent signifie l’activité perpétuelle, c’est-à-dire la vivacité de la vie.

La nouveauté la plus importante dans Les Observations est le fait que l’histoire de l’écriture du roman constitue le sujet du roman. Les Faux-Monnayeurs sont également le roman du roman où il s’agit de l’aventure de l’écriture du roman.

Tous ces citations nous montrent qu’Ahmet Mithat n’écrit pas seul Les Observations, mais avec la collaboration de quatre personnages. Il semble se rendre compte de cette technique novatrice. Avant de lire l’esquisse du roman il avoue à ses lecteurs qu’il est l’un des personnages du roman et que cette technique novatrice n’avait pas été essayée dans la vallée du roman. Ahmet Mithat était conscient de la technique novatrice et de l’originalité de son roman. Il s’ouvre aux horizons inconnus du roman pour découvrir les nouveautés de techniques narratives.

Les Observations nous montrent que nous sommes en présence d’un génie de romancier turc conscient de ce qu’il fait. Comme Yavuz Demir l’a bien dit, Ahmet Mithat présente un exemple de roman métafictionnel au lecteur bien qu’il se mette en route avec l’intention d’écrire un roman naturaliste ainsi que Christoph Columbus avait découvert l’Amérique avec l’intention d’aller en Inde (Demir, 2002, p. 83).

3.5. Le Mode de Narration du Récit Dans Les Faux-Monnayeurs

Dans Les Faux-Monnayeurs, André Gide se sert de la vision limitée parce qu’il la considère comme vraisemblable et rassurante. Dans son Journal des Faux-Monnayeurs Gide dit:

Le mauvais romancier construit des personnages; il les dirige et les fait parler. Le vrai romancier les écoute et les regarde agir; il les entend parler dès avant que de les connaître et c'est d'après ce qu'il leur entend dire qu'il comprend peu à peu qui ils sont. Pour moi, c'est plutôt le langage que le geste qui renseigne” (Gide, 1927, pp. 83-84).

Gide veut exposer le possible que pourrait offrir la vie:

Le romancier authentique crée ses personnages avec les directions infinies de sa vie possible; le romancier factice les crée avec la ligne unique de sa vie réelle. Le génie du roman fait vivre le possible; il ne fait pas vivre le réel” (Gide, 1927, p. 96).

Gide intervient comme auteur-narrateur témoin au fil du récit pour juger et commenter ses personnages. Il fait la critique de ses personnages en s’adressant à son lecteur qui est le destinataire métafictif qu’il prend en considération. Le lecteur est toujours mis en garde contre un livre fictif. Il est invité à s’échapper de l’illusion romanesque et il ne se laisse pas être emporté aveuglément par “(…) la ficticité de ce qu’il est en train de lire” (Gide, 1927, p. 123). En rendant impossible la propagation de l’illusion romanesque, Gide force le lecteur à participer à la mise en question généralisée de tout le système du genre romanesque et à entrer avec le romancier dans “l’Ere du soupçon” (Boros, 1990, p. 123). La plupart des personnages des Faux-Monnayeurs deviennent voyeurs en s’efforçant de transpercer la couche superficielle et trompeuse des faux sentiments auxquels les autres opposent (Boros, 1990, p. 36).

Les personnages faisant du voyeurisme deviennent narrateurs pour raconter ce qu’ils voient secrètement avec la vision limitée. C’est avec cette technique narrative que le lecteur gidien prend part à l’indiscrétion des personnages et il apprend malgré lui ce qu’il ne devrait pas savoir. Le voyeurisme permet au personnage d’observer le monde extérieur avec une vision limitée. C’est ainsi que Gide suscite “(...) la majeure irritation du lecteur” (Gide, 1927, p. 50) jaloux de préserver ses fantaisies illusoires. Si Gide irrite son lecteur c’est parce que celui-ci doit s’abstenir d’être séduit par la ficticité du roman qu’il est en train de lire et de s’identifier aux personnages fictivement créés par le romancier.

3.6. Le Mode de Narration du Récit Dans Les Observations

Le narrateur des Observations raconte les événements comme un historien soucieux de transmettre la réalité telle quelle alors que celui des autres romans d’Ahmet Mithat est un créateur de fiction qui invente l’intrigue du roman comme un conte. Pour donner l’impression que la narration est vraisemblable et logique, l’auteur-narrateur Ahmet Mithat recherche soigneusement les événements et fait la collection des informations relatives aux personnages à qui il parle et interviewe.

Ahmet Mithat observe les événements et les personnages plutôt par la vision limitée que par la vision illimitée. Ahmet Mithat se sert de la vision limitée pour donner l’impression que les événements et les personnages racontés sont vrais et la narration est vraisemblable et logique. Au début du roman, il s’adresse à ce type de narration. Dans Les Observations, Ahmet Mithat raconte qu’il entre dans la cabine réservée aux hommes dans le bateau pour aller à son bureau de journal afin qu’il pourra s’imaginer et raisonner sur le roman qu’il projette de composer dans une place tranquille.

L’auteur-narrateur s’adresse à ces truquages et artifices de narration pour ne pas être un Auteur-Dieu. Il prépare un milieu convenable à la vision limitée pour observer et écouter les personnages qui seront des matières pour son roman futur. Dans Les Observations il s’agit de la focalisation interne. L’histoire est racontée par la vision d’un auteur-narrateur devenu un personnage du roman et celles des autres personnages devenus narrateurs.

Somme toute, en s’employant de la vision limitée convenable à la vraisemblance et à la logique dans leur roman métafictionnel, Ahmet Mithat et Gide ne veulent pas être un Auteur-Dieu qui possède une puissance omnisciente, omnipotente et omniprésente sur les événements et les personnages et qui sonde les reins et les coeurs de leurs personnages. Ils ne veulent pas se référer à la vision illimitée dont le romancier classique se sert le plus souvent dans ses romans.



4. Aventure de l’Ecriture: Le Roman du Roman

Dans la métafiction, le romancier choisit directement l’acte de l’écriture du roman comme sujet du roman. L’exemple le plus caractéristique de ce type de roman est évidemment Les Faux-Monnayeurs d’André Gide. Dans Paludes et Les Caves du Vatican Gide présente également un romancier fictif qui s’efforce de composer son roman métafictif et s’adresse de temps en temps au destinataire, c’est-à-dire au lecteur pour partager ses visions littéraires dans le monde fictif du roman

L’histoire de la gestation d’un roman qui s’écrit ou qui ne s’écrit pas est racontée dès le commencement à la fin du roman dans les romans du roman. Chez beaucoup de romanciers français tels que Flaubert, Proust, Gide et les Nouveaux Romanciers on ne rencontre pas une histoire intéressante et touchante, l’évolution des personnages romanesques et la structure traditionnelle de l’intrigue. Au contraire, les problèmes du roman occupent une place importante chez eux. Dans l’histoire du roman il s’agit d’une génération qui remet en question et en problématique le roman lui-même et ses éléments constitutifs. D’après R. Bourneuf et R. Ouellet, “(…) du Roman comique de Scarron à Jacques le Fataliste, de Tristram Shandy de Sterne aux Faux-Monnayeurs s’est développé un contre-courant ironique dans lequel le roman se dédouble. Le romancier met à jour ses procédés, ses artifices, il défait en même temps qu’il bâtit” (Bourneuf & R. Ouellet, 1972, p. 419). Il expose ses propres ruses dans son roman dans lequel il s’agit des problèmes du roman.

4.1. Le Roman du Roman Chez Andé Gide

On pourrait dire que “toute l’oeuvre de Gide antérieure aux Faux-Monnayeurs prophétise ce roman en ce sens qu’il dit de Paludes, du Prométhée, voire des Caves sera vrai seulement des Faux-Monnayeurs” (Magny, 1950, pp. 247-248). Ce roman métafictionnel qui occupe une place primordiale dans l’histoire du roman est un extrait des expériences littéraires que Gide a obtenues dans toute sa vie. Les livres qu’il a déjà écrits avant Les Faux-Monnayeurs impliquent l’envers romanesque ou remettent implicitement ou explicitement le genre romanesque et ses conventions romanesques en problématique.

Tous mes livres sont des livres ironiques, ce sont des livres ironiques; ce sont des livres de critique. La Porte étroite est la critique d’une tendance mystique; Isabelle, la critique d’une certaine forme de l’imagination romantique; La Symphonie pastorale d’une forme de mensonge à soi-même; Immoraliste d’une forme de l’individualisme” (Martine, 1963, p. 147).

L’oeuvre gidienne a un caractère métafictionnel. Dans la plupart des oeuvres de Gide, il s’agit de l’expression du roman de l’échec. On y voit un personnage protagoniste qui s’efforce de composer une oeuvre littéraire ou bien de raconter l’histoire de l’écriture de son oeuvre (Bancroft, 1979, p. 160). Ce personnage central soutient des idées littéraires que personne ne croit et entreprend une oeuvre qu’il ne peut pas achever. On trouve à peu près le schéma de l’aventure tragique de l’écriture chez Gide. C’est ainsi que l’oeuvre gidienne est le roman du roman qui ne pourrait pas être rédigé. Par conséquent, Gide écrit le roman de l’impossibilité d’écrire le roman, en bref le récit du roman inécrivable.

Dans Les Cahiers d’André Walter, le héros- romancier entreprend de rédiger son roman métafictif “Alain” qu’il ne peut pas achever. Les Cahiers d’André Walter sont le roman d’un roman inécrivable.

Dans Paludes il y a un romancier métafictif qui s’occupe de composer un roman métafictif intitulé “Paludes” ayant le même titre que le roman de Gide. Cet anti-roman qui, selon Michel Raimond, possède la propriété “d’une singulière modernité” (Raimond, 1967, p. 110) est le roman du roman qui ne peut pas être écrit, mais qui ne présente au lecteur que des bribes du roman en train de se faire.

Dans L’Immoraliste, Gide nous présente un narrateur qui s’efforce de raconter sa propre histoire vécue. Dans L’Immoraliste le principal personnage Michel raconte l’histoire personnelle qu’il a vécue de la première partie à la dernière. Il nous transmet ses considérations contraires à la conception littéraire de son époque. En bref, L’Immoraliste est l’écriture d’une confession personnelle du protoganiste au lieu de raconter une action passionnante et aventureuse. Il est donc un roman métafictionnel.

Dans La Porte étroite, la combinaison du journal de l’héroïne Alissa avec le récit du héros Jérôme présente au lecteur la double perspective nécessaire à l’histoire des deux amants. Le principal personnage masculin Jérôme nous présente son récit comme histoire vécue dans laquelle il s’abstient de l’illusion romanesque parce qu’il n’a recours à aucune invention afin de joindre ses souvenirs en lambeaux. La Porte étroite est le roman du roman où les éléments romanesques sont totalement dénoncés. Elle est donc un roman métafictionnel.

Dans Isabelle, le personnage-romancier Gérard s’occupe des problèmes du roman. Il raconte le récit de sa passion pour l’héroïne Isabelle. Il s’éprend d’elle par une lettre écrite à un autre personnage qu’il considère comme si cette lettre lui avait été écrite. Dans son imagination il tombe amoureux d’Isabelle imaginaire. Il s’enfonce dans les rêveries romanesques. Quand il rencontre la vraie Isabelle, il est guéri de ses illusions pathétiques qu’il critique sévèrement plus tard. Ce roman est aussi un roman dans lequel il s’agit de la métafiction. Il est l’envers du romanesque.

Dans Les Caves du Vatican, Gide nous présente un personnage-romancier fictif nommé Julius Baraglioul qui commente le récit du narrateur et qui veut créer un personnage inconséquent coïncidant avec Lafcadio qui est l’un des personnages des Caves du Vatican. Julius ne peut pas achever son roman métafictif “L’Air des Cimes”.

Dans Les Faux-Monnayeurs Gide a placé un personnage-romancier fictif nommé Edouard qui est en train de composer un roman métafictif intitulé “Les Faux-Monnayeurs” ayant le même titre que celui de Gide. Ce roman ayant un caractère métafictif est “l’histoire réussie d’un roman qui échoue à être écrit” (Linder, 1975, p. 90).

C’est par l’échec du roman d’Edouard que Gide “a montré les difficultés à transcrire le réel que ce soit la réalité extérieure à soi ou le sentiment de sa propre réalité sur le plan de l’imaginaire” (Bouveret, 1984, p. 42). Par conséquent, Les Faux-Monnayeurs sont l’histoire réussie d’un roman qui n’arrive pas à être terminé par le personnage-romancier fictif Edouard, mais il a exposé de nouvelles théories romanesques en se mettant en communication métafictive avec le lecteur dans le monde fictif du roman.

En écrivant le roman du roman inécrivable, “Gide a manifesté son inaptitude à créer un monde romanesque digne de ce nom; Gide est un romancier impuissant (…). Gide faisait un livre de l’impuissance du romancier dévoré par les problèmes du romancier” (Martine, 1981, pp. 224-225). Il a rédigé des anti-romans où il fait la communication et la collaboration métafictive avec son lecteur.

4.2. Le Roman du Roman Chez Ahmet Mithat

Les Observations occupent une place importante dans l’histoire du roman turc. Car, Ahmet Mithat prétend essayer consciencieusement une technique romanesque qui n’avait pas été appliquée jusqu’alors dans le monde européen.

Tout cela nous montre que Les Observations sont un roman dont l’écrivain est l’un des personnages. Le fait que l’écrivain devient un personnage présente une structure de métafiction dans Les Observations. Ahmet Mithat intervient de temps en temps pour exprimer ses idées sur l’aventure d’écrire le roman en train de se faire. Il prétend que ce procédé n’est pas employé jusqu’alors dans les romans et dit: “Nous avions dit que ce procédé n’a pas été essayé dans la vallée du roman” (Mithat, 1979, p. 129). L’auteur-narrateur Ahmet Mithat devient l’un des personnages de même que les personnages deviennent collaborateurs de l’auteur afin de composer le roman en train de se faire.

Ahmet Mithat a rédigé Les Observations en tant qu’un roman naturaliste en faisant la réaction contre le roman naturaliste d’Emile Zola auquel il s’oppose du fait que les romanciers naturalistes exposaient seulement les vices de la vie, les immoralités, les imperfections et les malheurs de la société et qu’ils ne traitaient jamais le beau, le bon, et le suprême de leur société (Mithat, 1979, p, 145). Ce roman est un roman prétentieux parce que le processus de l’écriture du roman est le sujet du roman et que l’écrivain devient l’un des personnages en citant le nom dans la vie réelle et que les personnages eux-mêmes participent au processus de l’écriture du roman. Ahmet Mithat révèle au lecteur les procédés, les artifices et les secrets du romancier pour composer le monde fictif du roman. Le lecteur y voit comment la matière devant le romancier s’est transformée en un roman.

Il s’agit de l’intertextualité chez Ahmet Mithat. Dans son époque où il a vécu, cette nouveauté narrative est très intéressante. Il continue à se mettre en communication avec ses lecteurs dans le fil de l’action du roman métafictionnel. Les Observations sont un roman métafictionnel dans lequel il s’agit de l’aventure de l’écriture du roman métafictif par son auteur-narrateur Ahmet Mithat et ses personnages qui deviennent successivement des narrateurs de leur histoire ou des histoires des autres personnages tout au long du roman.

En composant leur roman comme le roman du roman métafictif, André Gide et Ahmet Mithat critiquent les artifices du romanesque, ils s’interrogent sur la crédibilité du roman, sur les pouvoirs du romancier, sur les rapports de celui-ci avec le lecteur. Ils sollicitent la collaboration du lecteur car ils lui proposent une lecture plus attentive. La lecture du roman comme son écriture est donc une reconstitution permanente d’un événement, d’un personnage, du roman ou de l’ensemble de l’oeuvre. C’est pour cela que la position du lecteur dans les romans de Gide et ceux d’Ahmet Mithat occupe une place importante.



5. La Collaboration Métafictive Avec le Lecteur

La lecture d’une oeuvre contribue à recréer le texte qu'on lit et chaque lecteur devient le destinataire et le collaborateur de l’écrivain. Celui-ci invite son lecteur à participer dans la création littéraire afin que la collaboration puisse se réaliser entre eux. “Tout au plus assiste-t-on, depuis Sterne et Diderot à la tentative de dissiper l'illusion romanesque par l'émergence d'un auteur-narrateur qui, s'adressant au lecteur, lui rappelle que tout récit est un jeu et que le lecteur doit y tenir son rôle” (Jean Clément). Le romancier moderne prend toujours son lecteur en considération. Dans les romans modernes qui proposent des théories novatrices et de nouvelles applications romanesques, le lecteur est pris toujours en considération et la création littéraire est toujours remise en question.

L’exigence du romancier moderne de collaborer avec son lecteur pour son roman se manifeste: toute lecture est un parcours qu’il faut traverser attentivement et tout lecteur avance dans le texte à lire en se frayant un chemin. Un livre a deux phases: l’acte d’écrire et l’acte de lire. Dans la première phase, l’écrivain écrit le livre. Dans la seconde phase, le lecteur le lit. Le lecteur est absent pendant l’écriture, l’écrivain est absent pendant la lecture.

Le roman moderne ou l’anti-roman se forme en utilisant comme matière les débris ou les échaudages du roman traditionnel et se dressant contre ses conventions romanesques. En faisant de temps en temps l’intrusion dans le fil de l’action et en faisant des commentaires sur les incidents et les personnages, le romancier moderne expose une attitude étonnante et inhabituelle qui exerce la douche froide sur le lecteur. Cette intrusion bouleversera l’esprit du lecteur qui s’enfonce dans les rêveries romanesques.

5.1. La Collobaration Métafictive Avec le Lecteur Chez Gide

Selon Michel Raimond, ”Gide confère au lecteur une position privilégiée en lui donnant accès à la pluralité des points de vue”(Raimond, 1985, p. 351). Mais il l’invite dans le monde imaginaire de son oeuvre “non comme un public, mais comme partenaire” (Moulènes & Paty, 1975, p. 41). Il exige que le lecteur participe à la création littéraire d’une oeuvre parce qu’il est le destinataire à qui le message est envoyé par l’écrivain.

Pour Gide, la lecture d’une oeuvre d’art littéraire, est une activité professionnelle parce que l’écrivain présente au lecteur un nouveau monde où auraient lieu une action ou plusieurs incidents. André Gide n’aime pas le lecteur paresseux, mais le lecteur lucide et attentif. En faisant la collaboration avec le lecteur, Gide remet en problématique les conventions romanesques du roman traditionnel ou classique. Il force le lecteur à participer à la mise en question de tout le système romanesque et à entrer avec le romancier dans l’ère du soupçon (Azzi, 1990, p. 123). Cela nous montre que Gide exige un lecteur perspicace et vigilant pour raisonner sur les problèmes du roman.

Le lecteur doit lire tant doucement une oeuvre en pensant et en raisonnant qu’il comprend le vrai message de l’écrivain dans les interlignes du livre. Il ne veut pas que le lecteur soit superficiel mais attentif et exigeant. Il exprime:

La concision extrême de mes notations ne laisse pas au lecteur superficiel le temps d’entrer dans le jeu. Ce livre exige une lenteur de lecture et méditation que l’on n’accorde à l’ordinaire pas aussitôt” (Gide, 1948, p. 991).

En allant plus loin, Gide désire que le lecteur soit plus prépondérant que l’auteur. On peut résulter de ce passage que le lecteur plus intelligent, plus moral, plus perspicace que l’écrivain, reconstitue le récit, et redécouvre les personnages à son gré de sa fantaisie et selon son état d’âme, mais l’écrivain n’a pas la possibilité de changer de son livre après que celui-ci est sorti de la plume de son écrivain. Dès que son livre est achevé, Gide ne peut pas l’y intervenir et le changer. En revanche le lecteur peut faire des ajouts et des retranchements sur le livre dans son imagination. Gide s’adresse de temps en temps à ses lecteurs au fil du récit. Il les met en garde contre la ficticité fascinante du roman produit par l’imagination du romancier.

En bref, Gide se met en communication métafictive avec son lecteur en l’invitant à prendre part dans le monde fictif du roman. Il désire que son lecteur soit plus perspicace, plus actif que l’auteur lui-même par sa vision extérieure.

5.2. La Collobaration Métafictive Avec le Lecteur Chez Ahmet Mithat

Ahmet Mithat prend également son lecteur en considération en composant ses livres. En écrivant son roman, Ahmet Mithat qui prend toujours son lecteur en compte et parle avec lui, crée son public de lecteurs et leur donne une personnalité. Les questions que le lecteur ou le destinataire pourrait poser, ses réactions qu’Ahmet Mithat suppose, ses manques de renseignements qu’il s’efforce de supprimer, ses habitudes qu’il présuppose, ses valeurs de croyance qu’il sait, tous ces faits éclaircissent la personnalité du lecteur qu’il a créé dans son imagination. Comme l’a bien dit Berna Moran, ce portrait de lecteur est sentimental, obéissant à ses traditions, auditeur des contes et des histoires publiques turques comme littérature, dépourvu de culture générale.

C’est ainsi qu’il intervient et parle à ses lecteurs en arrêtant le fil de l’action. Cela donne l’impression de la modernité et de la structure métafictive aux Observations d’Ahmet Mithat. Au XIXe siècle, l’aspect métafictif des Observations d’Ahmet Mithat est très intéressant et digne d’être étudié. C’est par le chapitre intitulé “Okuyucularla Hasbihal (Causeries avec les lecteurs)” dans ses Observations qu’Ahmet Mithat réserve une grande place à ses lecteurs.

Chez Gide et Ahmet Mithat, le roman métafictionnel est présenté comme un puzzle au lecteur. Le lecteur est invité à participer dans ce roman métafictionnel afin de retrouver et de placer chaque élément du puzzle qui lui convient. Il doit faire les rapprochements nécessaires et se souvenir de chaque histoire. Le jeu concerne chaque élément de l’histoire. Le lecteur est en effet invité par le romancier à utiliser ses capacités logiques et combinatoires. Les fragments du texte, les séquences séparées et les événements désintégrés resteraient à jamais dispersés sans le lecteur. Il complètera les blancs, remplira les interlignes, rétablira les omissions volontaires de l’écrivain (Azzi, 1990, p. 102). En bref, Gide et Ahmet Mithat se mettent en communication avec leur(s) lecteur(s). Ils écrivent leurs romans en prenant leur lecteur en compte. Ils l’invitent comme collaborateur dans le monde fictif de leur roman.



6. Conclusion

En conclusion, on a constaté qu’il existe des rapprochements entre Les Observations et Les Faux-Monnayeurs: les techniques narratives, les considérations littéraires sur le genre romanesque, le fait que le processus de l’écriture du roman constitue le sujet du roman lui-même, la critique de l’école naturaliste, la collaboration métafictive avec le lecteur. André Gide et ses oeuvres sont mondialement connus. Pendant que il était en vie, ses oeuvres ont été traduites en vingt six langues et les études sur lui ont passé cinquante (Yetkin, 1988, p. 11). Les milieux littéraires apprécient la vraie place d’André Gide par ses nouveautés de technique romanesque qu’il a apportées au genre romanesque. En revanche, la place littéraire d’Ahmet Mithat et sa contribution au roman ne sont pas suffisamment appréciées.

Les Observations sont un roman où l’auteur est l’un des personnages; un roman qui nous présente un romancier et ses personnages qui tentent d’écrire un roman; un roman qui se réfère aux oeuvres textuelles et aux conventions romanesques; un roman dont l’action ne progresse pas linéairement et chronologiquement mais circulairement; un roman qui raconte le dialogue entre l’écrivain et ses personnages. Toutes ces caractéristiques des Observations nous montrent que nous sommes en présence d’un roman tout à fait métafictionnel.

Quant aux Faux-Monnayeurs sont un roman dont le sujet principal est l’écriture d’un roman en train de se composer; un roman où le romancier fictif se préoccupe da la réalité qui lui est présentée et sa stylisation; un roman de l’impossibilité de composer un roman parce qu’il est inécrivable; un roman qui fait référence aux différents procédés romanesques et remet en question le roman traditionnel et ses éléments constitutifs; un roman qui conteste le romanesque, l’illusionnisme de la fiction, les solutions traditionnelles du réalisme; un roman qui met les problèmes du roman au premier plan; un roman qui prend le lecteur en compte. Toutes ces caractéristiques novatrices nous montrent que Les Faux-Monnayeurs sont un roman fortement métafictionnel.

Pour finir à la lumière de nos recherches, nous avons bien constaté qu’Ahmet Mithat et Gide ont beaucoup de ressemblances du point de vue de la technique romanesque.



Ouvrages cités

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http://hypermedia.univ-paris8.fr/jean/articles/allc.htm, Jean Clément, L'Hypertexte de Fıctıon: Naıssance d'un Nouveau Genre?



1 PhD, Selcuk University, Faculty of Literature, Department of French Language and Litterature Konya, Turkey, Address: Maraşal Fevzi Çakmak Mah., Selçuklu/Konya, Turkey, Tel.:+90 332 223 1210, Corresponding author: fboyaci2000@yahoo.com.

AUDRI, Vol. 9, no 1/2016, pp. 5-27

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