Acta Universitatis Danubius. Administratio, Vol 8, No 1 (2016)

A Semantic Approach of the Operational Strategies

of Institutional And Sectorial Management



Walter Amedzro St-Hilaire1, Guy Chiasson2



Abstract: Based on the experiences of sectoral management experienced currentely in Québec, this article describes the evolution and redefinition of the role of structures and how this evolution favors the emergence of new ways of public action. The analysis highlights a diversification of uses as well as the implementation of new modes of public administration. In addition to more decentralized management, the involvement of the RCMs allows the implementation of management projects. The analysis suggests that reconciling the demands of forest management with the socio-economic reality of the regions is not always easy and that there are still many obstacles to the establishment and maintenance of innovative forest management practices. These obstacles include the cumbersome nature of the normative framework, the lack of support given to the RCMs by the government, the lack of human and material resources and the low level of interest demonstrated by the populations.

Keywords: Innovative practices; Sectoral management; Public policies; Forest management; Public action



1. Introduction

Suite au déclin face auquel se trouve confronté le secteur forestier au Québec depuis plusieurs années, le mode de gestion des forêts publiques a subi une profonde évolution au cours des dernières décennies (CHIASSON et al, 2006; DALLAIRE, 2009). Pour favoriser la relance du secteur, une série de révisions du régime forestier québécois a été enclenchée depuis l’adoption en 1986 de la Loi sur les forêts (L.R.Q., c. F-4.1). Mais à partir de 2008, le gouvernement invite tous les acteurs du milieu forestier à travailler de concert pour procéder, sur la base du plus large consensus, à la refonte des politique forestières sur les pratiques de gestion, et pour fournir au secteur forestier un cadre législatif apte à assurer sa redynamisation (MRNF, 2010).

En vue d’une adoption définitive de ce nouveau cadre législatif, la gestion sectorielle est actuellement dans une période de transition marquée par l’implantation progressive des grandes lignes du nouveau régime forestier. Auparavant dominée par une idéologie industrielle caractérisée par une exploitation forestière intensive, une récolte de masse, et par un système de prise de décisions centralisé aux mains des grandes industries forestières et des services spécialisés de l’État, la gestion forestière se transforme progressivement en un modèle de gestion communautaire axé sur la valorisation du patrimoine forestier et sur la prise en compte des dynamiques locales propres aux territoires abritant ces forêts (CHIASSON et al, 2006). Cette évolution a permis, entre autres, l’intégration dans les exercices de planification forestière, d’organismes régionaux perçus comme ayant un intérêt par rapport à la forêt et aux activités qui y prennent place (MRNF, 2010). Ces nouveaux acteurs sociaux et environnementaux ont ainsi vu leur rôle redéfini, du fait de leur participation plus active au devenir du secteur forestier. Cette reconfiguration de la gestion sectorielle soulève une question importante: Quel rôle ces nouveaux acteurs jouent-ils dans la redynamisation de la gestion forestière et dans le développement de pratiques innovatrices de gestion sectorielle? Pour répondre à cette question, la présente publication s’attachera à mettre en lumière les pratiques innovatrices de gestion forestière associée à l’intégration effective et à la participation active de nouveaux acteurs, à savoir les municipalités régionales de comté (MRC), au processus de gestion forestière au Québec. Cette question étant à notre connaissance, peu documentée, l’objectif recherché est de décrire l’évolution du rôle des MRC dans le schéma de gestion forestière au Québec et les pratiques de gestion innovante découlant de leur implication dans la gestion des forêts publiques du Québec. En effet, le but de cette publication n’est pas de questionner la pertinence des nouveaux outils de gestion et des priorités de gestion adoptés dans le cadre de la gestion décentralisée aux MRC, ni d’évaluer la réussite des expériences de gestion de ces MRC, mais plutôt de montrer dans quelle mesure la réforme des politiques de gestion forestière permettant l’implication de ces nouveaux acteurs dans le schéma de gestion sectorielle, est à même de favoriser l’émergence de nouvelles façons de gérer les forêts publiques.

La première partie de l’article, expose l’importance du secteur forestier pour la province et les grandes lignes de l’évolution des pratiques de gestion des forêts publiques. Cette partie présente également état de réalisation des MRC activement impliquées dans la gestion des TPI, ainsi que des outils de gestion et des usages de la forêt novateurs, émergeant à la suite de l’implication des MRC dans la gestion des TPI. Cette section vise à comprendre comment la réforme des politiques forestières cherche à promouvoir la redynamisation du secteur forestier à travers la mise en place de nouvelles pratiques régionales de gestion par les MRC. La seconde partie, explore les méthodes de gestion sectorielle effectivement mise en pratique par différentes MRC. Cette section présente les résultats d’une étude de cas portant sur les pratiques de gestion de MRC des régions de l’Estrie, de la Mauricie, de la Gaspésie et de Chaudières-Appalaches, et sur les expériences de gestion telles que vécues par des représentants des MRC.



2. Éléments Méthodologiques

Les éléments d’analyse présentés ici s’appuient sur une étude qualitative basée sur des entrevues semi-dirigées réalisées auprès d’intervenants municipaux, impliqués ou non dans la gestion des TPI. Les 7 personnes rencontrées dans le cadre de cette recherche sont employées par les MRC dans les régions administratives de la Montérégie (MRC Jardins de Napierville), de la Côte-Nord (MRC de Manicouagan), des Laurentides (MRC d’Argenteuil), de l’Outaouais (MRC de Papineau et MRC de la Vallée-de-la-Gatineau), du Bas-Saint-Laurent (MRC de Témiscouata) et de Lanaudière (MRC de Montcalm). Sur les 7 MRC étudiées, 4 ont signé une convention d’aménagement du territoire avec le gouvernement du Québec pour la gestion des forêts publiques situées sur leur territoire et libres de CAAF, à savoir:

- la MRC de Manicouagan en 2004;

- la MRC de Papineau en 2006;

- la MRC de Témiscouata en 2000;

- La MRC de la Vallée-de-la-Gatineau en 2002.

Les MRC de Montcalm et de Jardins-de-Napierville ne comptent pas de forêts publiques sur leur territoire. La MRC de Jardins-de-Napierville est toutefois fortement impliquée dans l’encadrement de la gestion des forêts privées de son territoire. Bien qu’il existe des forêts intra-municipales dans la MRC d’Argenteuil, cette dernière préfère pour le moment ne pas avoir la responsabilité de leur gestion, et offre un soutien à la gestion des forêts privées.







3. Portrait Général de la Gestion Sectorielle au Québec

L’exploitation forestière est l’un des piliers fondateurs de la société québécoise. Étant l’un des principaux moteurs du développement de la province depuis le début de la colonisation, elle revêt encore aujourd’hui une importance capitale pour la province, tant sur les plans économique, social qu’environnemental. Sur la superficie totale d’environ 1 700 000 km2 du territoire québécois, les forêts recouvrent près de 761 100 km2 (MRNF, 2009). Ce couvert forestier est constitué à 91,6% de forêts publiques, à 8% de forêts privées et à 0,4% de forêts fédérales. Les forêts exploitables du Québec soutiennent une industrie de produits ligneux implantées dans plus de 600 municipalités. Pour 266 d’entre elles, la fabrication des produits forestiers est la principale source d’activité manufacturière (MRNF, 2003). La forêt fournit près de 80 000 emplois directs et constitue un lieu d’utilisation de la faune pour des millions de Québécois.

La gestion des forêts à l’ère postcoloniale est marquée par trois grandes périodes (CHIASSON et al, 2006). Au cours de la première, s’étendant jusqu’à la première moitié du XXe siècle, la forêt sert notamment à approvisionner les industries forestières, auxquelles l’État cède un droit de coupe sous la forme de concessions forestières (STEIN et LAVOIE, 2003). Avec ce système de concessions, les entreprises exploitantes se voyaient confier le rôle de gestionnaire des étendues de forêts publiques, devant réaliser l’inventaire, l’aménagement et la protection contre les incendies (DALLAIRE, 2009). L’État s’impliquait peu dans l’observance des lois et règlements et s’occupait principalement alors de la perception des droits de coupe.

Après la 2e Guerre Mondiale, avec la hausse de la demande, la rareté artificielle des volumes de bois disponibles occasionnée par la sous - utilisation des concessions (STEIN et LAVOIE, 2003; DALLAIRE, 2009), les conflits de plus en plus nombreux liés aux ententes de coupe et les préoccupations quant à la santé des forêts et celles liées aux épidémies de tordeuses de bourgeons d’épinette, l’État joue un rôle plus actif dans la gestion des forêts. Après avoir longtemps laissé carte-blanche aux compagnies forestières, l’État se fait plus présent en instaurant progressivement un appareil règlementaire venant encadrer les pratiques et les volumes des coupes, ainsi qu’en définissant les responsabilités des compagnies en matière d’aménagement du territoire. À partir de 1972, le gouvernement énonce la politique forestière du Québec. Les concessions sont partiellement révoquées et une société d’État est instituée pour développer les régions délaissées par l’industrie (DALLAIRE, 2009). Il s’installe ainsi progressivement la deuxième période de la gestion des forêts publiques, marquée par une gestion bureaucratique et scientifique des approvisionnements où l’État et les compagnies forestières sont les principaux acteurs (CHIASSON et al, 2006). L’État propose alors une gestion axée sur la possibilité annuelle de coupe à rendement soutenu des forêts et la polyvalence des activités forestières. La majorité des principes de cette gestion est encadrée dans la Loi sur les forêts adoptée en 1986.

L’État gère dorénavant les unités d’aménagement forestier, les réserves forestières, les parcs provinciaux, les forêts d'enseignement et les réserves écologiques. Les droits d’exploitation sont dorénavant octroyés à travers des Contrats d’Approvisionnement et d’Aménagement Forestier (CAAF) qui obligent, entre autres, les exploitants à renouveler les essences après les coupes. Ces contrats remplacent, dans une certaine mesure, les anciennes concessions forestières et garantissent aux industriels des approvisionnements à long terme. Le principal changement est l’obligation pour le titulaire d’un CAAF de ne pas exploiter davantage que le volume de bois qui lui est attribué par le ministre dans le cadre de la possibilité ligneuse (L.R.Q., c. F-4.1). Les détenteurs ont aussi l’obligation de remettre en production les terrains exploités et de s’assurer qu’après la coupe, la forêt ne démontre pas une baisse de rendement. De plus, tous les aménagements forestiers et les travaux sylvicoles doivent respecter le milieu forestier et l’ensemble des ressources qu’il renferme. Lorsqu’une même unité d’aménagement est couverte pas plus d’un CAAF, les bénéficiaires sont coresponsables de l’état des forêts qui s’y trouvent. Les CAAF ne sont accordés qu’aux titulaires d’un permis d’exploitation d’usine de transformation du bois, et ce, pour une période de 25 ans révisée tous les cinq ans (MRNF, 2010).

Le modèle de gestion étatique est profondément remis en question au cours des deux dernières décennies. En 1990, le mouvement de conscientisation mondiale qui s’opère face questions environnementales introduit de nouvelles préoccupations dans la gestion des forêts, ainsi que dans les politiques et stratégies commerciales de nombreuses entreprises. De ce fait, l’impact qu’ont l’exploitation forestière et des politiques d’aménagement territorial sur la faune, sur le climat, sur les habitats fauniques, sur le sol et l’eau, et sur l’écosystème forestier doit désormais être pris en considération. En outre, les pressions pour une meilleure transparence des pratiques de gestion et celles pour utiliser l’espace forestier autrement qu’à des fins industrielles se font de plus en plus nombreuses. Aussi la crise du modèle étatique de gestion des forêts publiques ouvre la porte à une troisième période caractérisée par la recherche de nouveaux partenaires dans la gestion des forêts publiques (CHIASSON et al, 2006).



4. La Remise en Question du Modèle Public de Gestion des Forêts

Bien que la loi de 1986 soit une amélioration comparée aux concessions forestières, elle se préoccupe essentiellement de la matière ligneuse de la forêt et néglige ses autres multiples attributs tels que sa biodiversité et l’aspect culturel qu’elle représente pour les autochtones (ROMAGUER, 2001). Un accès quasi-exclusif est octroyé par l’État aux grandes compagnies forestières pour la récolte et la première transformation du bois. Dans les années suivant son adoption, plusieurs problématiques viennent remettre en question le mode étatique de gestion des forêts publiques. Tout d’abord la récolte intensive de la matière ligneuse dans les zones sous CAAF occasionne souvent des perturbations importantes pour d’autres utilisateurs de la forêt (pourvoiries, associations de chasse et pêche, entrepreneurs touristiques, communautés autochtones…) et des conflits au sein des régions abritant les unités d’aménagement (ROMAGUER et BACHON, 2001; CHIASSON et al, 2006). En outre les ressources nécessaires pour soutenir les différentes activités qui prennent place en forêt s’amenuisent; le Québec se dirige vers une rupture de stock. Malgré l’introduction du concept de la possibilité forestière, la forêt est surexploitée et il se coupe annuellement plus de bois qu’elle ne peut en donner (DALLAIRE, 2009). Sur le plan international, plusieurs pays accroissent leur productivité, s’appropriant alors des marchés auparavant détenus par l’industrie forestière québécoise. S’ajoutant à cela, la montée de la valeur du dollar canadien nuit à la compétitivité du secteur forestier (DALLAIRE, 2009). L’approvisionnement en bois de qualité devient de plus en plus difficile. Le volume excessif des coupes, la surexploitation de la forêt et la perte de compétitivité du secteur forestier ébranlent considérablement la confiance de la population envers le gouvernement et l’industrie forestière, quant à leur capacité à gérer durablement les forêts (CHIASSON et al, 2006; DALLAIRE, 2009). Les différents acteurs ayant un intérêt dans la forêt se font alors de plus en plus pressants, demandant à être entendus et réclamant une nouvelle réforme de la gestion forestière au Québec.

Parallèlement, au niveau des régions, l’inadéquation des politiques provinciales de gestion des forêts se fait de plus en plus ressentir. En effet, l’État produit des normes qui s’appliquent à l’ensemble du couvert forestier sans égards pour la diversité régionale des forêts (diversité des essences, diversité des potentiels forestiers) ou pour la diversité des dynamiques régionales (capital social, identité régionale, synergies entre les acteurs locaux, cultures entrepreneuriale, culture locale, savoir-faire…). Les pratiques forestières s’appuient sur un seul type de savoir, dominé par l’expertise scientifique et axé sur l’exploitation intensive de la matière ligneuse. Les particularités régionales, de même que les points de vue des communautés locales et des groupes d’intérêts, tendent à être exclus (CHIASSON et al, 2006). Bien que les forêts publiques représentent un enjeu capital pour le développement des régions québécoises, le secteur forestier évolue à partir de préoccupations ne tenant pas compte des particularités propres à chaque région. Les problèmes publics et priorités à suivre sont définis de manière centralisée par l’État et ne s’articulent pas toujours avec les dynamiques et réalités régionales.

Face à la crise du modèle de gestion étatique des forêts, le gouvernement reconnait la nécessité de la prise en compte d’une diversité d’intérêts pour assurer d’une part une saine gestion de la forêt et d’autre part, un développement autant économique que social des régions. Pour que les ressources du milieu forestier soient gérées et aménagées de façon optimale, dans l'intérêt public, la population, les élus locaux et les différents utilisateurs du milieu forestier doivent avoir l'occasion d'exprimer à la fois leurs besoins et leurs attentes. Ils doivent également être en mesure d’influencer les décisions prises en matière de planification stratégique (MRNF, 2010). Le gouvernement décide alors d’accorder une plus grande place aux divers intérêts forestiers dans la gestion des forêts publiques. À partir de 2001, il met de l’avant la nécessité pour les bénéficiaires de permis d’exploitation forestière de mettre en place lors de la planification, des mécanismes permettant la conciliation avec les autres usagers et intérêts forestiers (propriétaires de pourvoiries et autres promoteurs récréotouristiques en forêt, municipalités, associations de chasse et pêche, acériculteurs). Ces changements ont ainsi rendu nécessaire l’intégration des différentes parties prenantes dans les exercices de planification des opérations forestières locales des compagnies.

En outre, après avoir longtemps donné aux propriétaires d’usines de transformation un accès monopolistique aux ressources ligneuses, les législations récentes ont commencé à permettre l’émission de baux forestiers à d’autres acteurs qui trouvent un ancrage plus local : des petits entrepreneurs locaux mais également des municipalités ou des municipalités régionales de comté (MRC). Ces derniers ont désormais accès à des volumes de bois grâce à des ententes signées avec le gouvernement sous forme de Contrats d’Aménagement Forestier (CtAF) ou de Conventions d’Aménagement Forestier (CvAF). Dans le but d’achever une meilleure conciliation, une meilleure harmonisation des dynamiques sectorielles et régionales, le gouvernement entreprend une série de réformes visant à favoriser un développement régional dont l’impulsion provient de l’intérieur et qui se base sur la spécificité des territoires (MRNF 2010). Dans cette perspective, l’expérience des terres publiques intra-municipales (TPI) est particulièrement intéressante. La gestion des terres publiques situées à l’intérieur des limites municipales est décentralisée aux MRC, à partir de 1995. En décentralisant les TPI, le gouvernement tente d’instaurer un dialogue entre les différents acteurs d’un même territoire, les communautés et les utilisateurs de la forêt. Il permet donc aux MRC de définir les usages de la forêt locale ainsi que les priorités devant guider les opérations forestières (CHIASSON et al, 2006), et encourage ceci par des fonds aux MRC.



5. Mécanismes de Gestion Mis en Place Par les MRC3 dans la Gestion des TPI

Le principal objectif de la politique de décentralisation de la gestion des TPI aux MRC est de favoriser l’émergence d’initiatives locales pour soutenir la revitalisation et le développement socio-économique des communautés locales et/ou régionales par la valeur intégrée des ressources naturelles, ceci dans le respect du principe de développement durable. Les acteurs publics locaux ont désormais la responsabilité de définir la voie de développement à suivre et la meilleure manière de mettre en valeur la forêt locale et ses différentes ressources. En vertu des conventions de gestion territoriale signées entre le Ministre des Ressources Naturelles et les MRC, le Ministre délègue à certaines MRC les responsabilités en matière de planification, de gestion foncière, et de règlementations sur les TPI libres de CAAF. Au Québec la première région touchée par la politique de décentralisation est l’Abitibi-Témiscamingue en 1994 (TEITELBAUM et al, 2006). Depuis la politique de décentralisation s’est étendue à plusieurs autres régions dont le Saguenay-Lac-Saint-Jean et l’Outaouais à partir de 1997, le Bas-Saint-Laurent en 1999. Au cours des dernières années, l’adoption des politiques de décentralisation a favorisé l’émergence de nouveaux modes d’administration des TPI, et a contribué à la diversification des usages de la forêt et de ses ressources.

Bien que les activités liées à la récolte du bois soient les principales sources de création d’emplois adoptées par la plupart des MRC, certaines choisissent d’investir dans d’autres types d’activités reliées à la forêt (TEITELBAUM et al, 2006). Ainsi, avec la décentralisation de la gestion des TPI aux MRC on assiste à la diversification des usages de la forêt et de ses ressources. La gestion des TPI est un bon exemple de la diversification des usages faits de la forêt publique. La gestion intégrée se veut un cadre référence qui permet de prendre en considération l’ensemble des fonctions susceptibles d’être attribuées à l’espace forestier et qui prend en compte l’ensemble des avis des acteurs impliqués (BOUSSON, 2003). Les TPI situées à proximité des populations sont fortement sollicitées par un grand nombre d’utilisateurs pour la pratique d’activités récréatives, agricoles, forestières ou autres (MRC de Lac-Saint-Jean-Est, 2006). En prenant compte de la diversité d’intérêts, des attentes exprimées par les parties prenantes, du potentiel des TPI et des usages déjà existants plusieurs affectations du sol ont été identifiées, chacune représentant une possibilité de développement et d’utilisation différente des unités territoriales homogènes des TPI. Les unités territoriales se sont donc vues attribuer des vocations socio-économiques variées témoignant des nombreuses possibilités qu’offre la forêt.

L’attribution des terres pour chaque affectation retenue a donc permis de concilier les intérêts de différentes parties prenantes tout en élargissant les usages préexistants. La gestion de la forêt se fait de façon intégrée, en harmonie avec les activités et priorités existantes.

Plusieurs MRC, assument entièrement la gestion des TPI sous leur responsabilité. Par exemple, la MRC de la Vallée-de-la-Gatineau administre elle-même les TPI sous sa responsabilité, établissant annuellement les prescriptions sylvicoles que la MRC entend réaliser. Elle conserve l’essentiel des activités de gestion. L’équipe de gestion comprend des professionnels responsables de différentes opérations (rédaction du plan annuel d’intervention forestière, droits fonciers, suivi des opérations forestières). Les opérations forestières sont négociées par contrats avec des entrepreneurs forestiers d’expérience (MRC de la Vallée-de-la-Gatineau, 2010). Toutefois, certaines MRC délèguent à travers des conventions de gestion territoriale, une large part des responsabilités de gestions à des groupes locaux, tels que les municipalités, des organisations à but non-lucratif, des coopératives, ce qui a favorisé l’émergence de modèles de gestion innovateurs en foresterie (TEITELBAUM et al, 2006).

Aussi, le concept de forêt habitée se définit comme un nouveau mode de gestion des ressources du milieu forestier dont la mise en œuvre s’appuie sur un nouveau partenariat entre le gouvernement, le monde municipal et les organismes du milieu, ainsi que sur la mobilisation des collectivités locales. Ce mode de gestion concrétise les principes de développement durable et de mise en valeur intégrée de toutes les ressources de la forêt, tout en favorisant la participation de la population. Plusieurs MRC adoptent ce mode de gestion dont la MRC de Charlevoix pour la gestion des forêts du Massif de Petite-Rivière-Saint-François (MRC de Charlevoix, 2006). La MRC gère les activités et les interventions faites sur le territoire en se basant sur les avis d’un comité multi-ressources, composé de représentants de tous les secteurs d’activités liés au développement du territoire. En outre le territoire du Massif est divisé en secteurs sur lesquels la MRC délègue à des organismes locaux tels que la Corporation du Sentier des Caps ou la Corporation du domaine Loguori, les responsabilités en matière d’aménagement, de développement et de gestion des territoires à vocations récréatives, des sites historiques et des érablières. Le modèle de forêt habitée a également été adopté par la municipalité de Saint-Augustin de Woburn pour la gestion de ses TPI. Dans le cadre de la gestion du territoire, la municipalité lance un projet communautaire au sein duquel plusieurs partenaires et utilisateurs du milieu forestier prêtent main forte à la municipalité pour la gestion et l’aménagement du territoire forestier (Gestion Mont Gosford, 2009).

À partir de 2001, le gouvernement a mis de l’avant la nécessité pour les bénéficiaires de CAAF de mettre en place, dans le cadre des exercices de planification, des mécanismes permettant la conciliation des activités d’exploitations avec les autres usagers et personnes ayant un intérêt dans la forêt : propriétaires de pourvoiries, promoteurs d’activités de récréo-tourisme en forêt, municipalités, associations de chasse, de trappe et pêche, acériculteurs, agriculteurs, groupes de préservation de la forêt, communautés autochtones. Cela a permis la mise sur pied de tables GIR dans plusieurs régions du Québec (CHIASSON et al, 2006), dont l’Outaouais et l’Abitibi-Témiscamingue. Le mandat de ces tables GIR est d’une part de permettre aux organismes ayant divers intérêts forestiers locaux de participer à l’élaboration des plans d’aménagement, mais également de développer une gestion plus consensuelle des forêts locales (CHIASSON et al, 2006).

L’établissement des tables GIR locales vise à mieux reconnaitre les usages émergents ou déjà en place et de mieux les concilier avec la pratique des compagnies forestières, dans le but de créer ou renforcer les synergies entre les acteurs impliqués dans la vie de la forêt. Alors que la gestion des forêts publiques s’appuyait sur un savoir spécialisé échappant aux intervenants locaux, l’inclusion de ces derniers dans les tables GIR contribue à repenser la gestion en termes plus réalistes. Par ailleurs, les acteurs locaux sont amenés à appréhender la gestion forestière dans toute sa complexité, à mieux se positionner dans la gestion et éventuellement à assurer une gestion éclairée des lots intra-municipaux. L’objectif ultime des tables GIR est la définition commune des priorités qui devront guider les opérations forestières, notamment sur les TPI. Ces priorités sont le produit d’un consensus entre différentes parties prenantes ayant initialement des points de vue et des intérêts très différents (CHIASSON et al, 2006).

Pour répondre aux aspirations de la population quant à la gestion des ressources forestières, cette dernière a mis en place un certain nombre de projets permettant la gestion collective des territoires forestiers. Le plus important est le projet témoin de forêt habitée des fermes forestières. Dans la MRC de Matane, le milieu forestier transparaît à travers les mœurs des citoyens qui, en plus d’y travailler, y habitent et y pratiquent leurs loisirs (MRC de Matane, 2004). Pour les zones de forêt habitée, situées à proximité des communautés rurales, la MRC de Matane privilégie un aménagement forestier fait par et pour les habitants des communautés avoisinantes. Aussi, dans le cadre du projet des fermes forestières, une portion des TPI a été divisée en parcelles et allouée à des fermiers qui gèrent les parcelles de forêts comme de petites entreprises. La gestion d’une autre part du territoire a été confiée à la corporation de développement de Sainte-Paule dans le cadre du projet de la forêt communale de Sainte-Paule. La coopérative forestière de la MRC de Matane s’est également vue confier la gestion de lots épars de TPI. Une aire commune, libre de tous droits, demeure sous l’unique responsabilité de la MRC. Enfin, la MRC confie par l’intermédiaire de baux de villégiature, de baux d’exploitation d’érablières, de droits de passage et de pourvoirie, la mise en valeur d’unités territoriales ponctuelles.

Au sein de la MRC de Lac-Saint-Jean-Est, les TPI constituent une richesse collective à préserver et dont le maintien du caractère public demeure une priorité (MRC de Lac-Saint-Jean-Est, 2006). Aussi la MRC ne limite pas l’accès aux terres et fait appel aux différents acteurs locaux pour administrer collectivement les TPI. La MRC concède par le biais de baux de villégiature, de baux de bleuetière, de droits de passage ou de conventions d’aménagement forestier, la gestion et la mise en valeurs de certaines unités territoriales (MRC de Lac-Saint-Jean-Est, 2006). L’octroi par la MRC de ces droits vise à susciter l’engagement de la population locale dans le développement durable, de même que le partenariat et le maillage d’entreprise. Il vise aussi à assurer l’intégration des nouvelles activités forestières dans la réalité socio-économique de la région, et à assurer la complémentarité des différentes responsabilités de la MRC. Il est à noter que l’octroi de baux de bleuetière et de conventions d’aménagement forestier a permis d’accroitre l’activité économique dans les communautés locales par la création et le maintien d’emplois près des lieux de résidences des citoyens de la MRC (MRC de Lac-Saint-Jean-Est, 2006).

Dans ce mode de gestion collectif, la MRC calcule la possibilité forestière à rendement soutenu, analyse et approuve le cas échéant les prescriptions sylvicoles, les plans et rapports annuels ainsi que les plans quinquennaux d’aménagement forestier des bénéficiaires de CvAF. Elle assure un support technique aux bénéficiaires et à leurs consultants (MRC de Lac-Saint-Jean-Est, 2006). Elle s’assure également que les travaux soient réalisés conformément aux instructions du MRNF et en respect du règlement sur les normes d’intervention dans les forêts du domaine de l’État.



6. Obstacles au Développement et au Maintien de Nouvelles Pratiques de Gestion

Au cours de l’histoire, le cadre de gestion sectorielle s’est vu modifié à plusieurs reprises en raison de demandes de l’industrie et des valeurs des Québécois. Aujourd’hui, les acteurs du milieu forestier québécois s’attendent à une gestion qui tienne compte de l’ensemble des ressources, des valeurs des communautés voisines des terres administrées, des utilisateurs de la forêt. Cette gestion doit se faire dans un contexte de concertation ou de participation interactive à la planification et à la définition des priorités guidant les opérations forestières. Aussi, les pratiques doivent être améliorées pour réduire, ou mieux éliminer tout impact négatif sur l’environnement. Par ailleurs plusieurs collectivités expriment leur volonté de s’occuper de leur territoire et d’y vivre. Le gouvernement tient compte de ces nouvelles attentes lors de l'élaboration des politiques, des normes et des programmes forestiers ainsi que lors de la révision des lois et règlements.

Le régime forestier révisé en 2001 établit donc un cadre de gestion qui favorise d’une part l’aménagement forestier dans le respect des critères de développement durable, d’autre part l’harmonisation des multiples utilisations possibles du milieu forestier. Il invite des partenaires plus nombreux à participer plus étroitement à la mise en valeur des ressources forestières et à leur planification. De plus, le suivi environnemental fait désormais partie intégrante du processus de gestion forestière. Avec la décentralisation de la gestion des TPI aux municipalités, les transformations redéfinissant la gestion forestière ont un impact considérable sur le rôle de divers acteurs à l’échelle locale. Autrefois appelés à intervenir dans la gestion forestière notamment pour soutenir les politiques provinciales de gestion et d’aménagement, les acteurs locaux ont désormais l’occasion d’influencer la planification et la gestion forestière.

Bien que de nouveaux modèles de gestion et de nouvelles initiatives aient vu le jour, peu sont encore en activités. Il s’agit de projets isolés et peu soutenus par le gouvernement. En 2004, le bilan de la Commission d’étude sur la gestion des forêts publiques québécoises concluait qu’une infime partie des forêts publiques (1%) demeure gérée selon les principes relevant de la forêt habitée (Commission d’étude sur la gestion des forêts publiques québécoises, 2004). Plusieurs MRC ne reçoivent pas du gouvernement les appuis nécessaires au développement d’initiatives porteuses de changement. Un autre obstacle à l’expansion des initiatives dans la gestion forestière est la lourdeur du cadre administratif élaboré par le gouvernement. En effet le poids des grands acteurs sectoriels (l’État et les grandes compagnies forestières) et du cadre national n’a pas disparu dans le contexte de gestion décentralisée, de sorte que les éléments territoriaux introduits récemment doivent cohabiter avec un modèle dont la tendance industrielle pèse encore lourdement sur les objectifs d’aménagement de nombreuses MRC (CHIASSON et al, 2006). De plus le cadre normatif est souvent contraignant et manque de souplesse. La MRC de Matapédia met l’accent sur quatre conséquences de la lourdeur du cadre normatif (MRC de Matapédia, 2004):

  • Une restriction de l’autonomie professionnelle des acteurs locaux de la planification et de l’exécution des travaux de mise en valeur de la forêt publique, pouvant mener à la démotivation de ces acteurs;

  • Une entrave aux possibilités de mener une gestion et des pratiques forestières conformes aux processus naturels gouvernant les peuplements forestiers;

  • Une entrave au développement de nouvelles formules de gestion sur la forêt publique;

  • Une source de conflits entre les acteurs de la planification locale et ceux chargés du suivi des normes et règlement.

La gestion forestière et ses enjeux au sein de différentes régions du Québec.

Cette deuxième section présente les premiers résultats d’une analyse menée dans différents régions sur les pratiques de gestion des TPI par les MRC, actuellement en place. L’objectif de cette section est de mettre à jour les pratiques innovantes et les initiatives encore effectivement en vigueur. Elle tente par ailleurs d’évaluer l’intégration éventuelle des nouvelles responsabilités en matière d’aménagement de la forêt publique, celle des nouveaux outils de gestion et leur impact éventuel sur l’organisation et les pratiques des MRC. La recherche vise également à mieux appréhender le point de vue des acteurs de la gestion décentralisée des TPI quant aux différents enjeux soulevés par la gestion forestière en général et celle des TPI en particulier, sous le régime forestier actuel. Les éléments d’analyse présentés ici s’appuient sur des entrevues semi-dirigées réalisées auprès d’intervenants municipaux, impliqués ou non dans la gestion des TPI.

Lors de leur création, en vertu de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme (L.R.Q., c. A-19.1), les MRC répondaient à une problématique en matière d’aménagement du territoire. Elles remplacent alors les anciennes corporations de comté. Leur mandat initial était principalement l’aménagement du territoire c'est-à-dire l’organisation de l’espace et l’élaboration d’un cadre de développement du territoire via l’adoption d’un schéma d’aménagement assujetti à une révision quinquennale. Aussi, les MRC gèrent, planifient et contrôlent les opérations d’aménagement et le développement durable du territoire, en collaboration avec chacune de leurs municipalités constituantes et avec le concours des partenaires du milieu, ceci dans un but de promotion et d’amélioration des conditions de vie générale de leurs populations. Elles sont reconnues comme le lieu de décision concernant les orientations de développement local en matière d’aménagement. Le gouvernement leur fait donc périodiquement connaitre ses orientations pour l’ensemble du territoire. Leurs responsabilités se sont progressivement étendues à plusieurs domaines, notamment ceux nécessitant une intervention commune de plusieurs municipalités. Ainsi, outre ses responsabilités en matière d’aménagement, la MRC de Montcalm fait notamment allusion aux services qu’elle offre en matière d’administration générale de divers mandats qui lui sont confiés par le Conférence Régionale des Élus, de mise en place et de gestion de programmes de rénovation grâce auxquels elle octroie des subvention pour la restauration d’habitations de personnes à faible revenu ou handicapées, d’évaluation foncière des immeubles des municipalités, de gestion de la cour municipale qui a juridiction en matière civile et pénale, de planification de la sécurité incendie et de gestion du transport collectif et adapté.

Les MRC servent de plus en plus de lieu de concertation et d’échange sur tout enjeu régional. Au cours des dernières décennies, plusieurs MRC se sont vu confier de nouvelles responsabilités par le gouvernement, à savoir la gestion des TPI et la gestion du programme de mise en valeur des ressources du milieu forestier. Pour les MRC qui ne sont pas en charge de TPI, le rôle de la MRC en matière de forêts consiste principalement en un encadrement et un contrôle des pratiques forestières se déroulant en milieu privé. Ainsi le rôle de la MRC de Jardins-de-Napierville et de celle d’Argenteuil en matière de forêts consiste principalement en l’encadrement des coupes forestières en terres privées, en l’application de la règlementation municipale en matière d’abatage d’arbres et en un support à l’aménagement forestier.

L’intégration de la gestion des TPI dans les responsabilités des MRC a eu quelques conséquences sur le fonctionnement des MRC. On remarque qu’une plus grande diversité de rôles et d’activités s’est développée pour les MRC en charge de TPI. En plus de la possibilité d’émettre un règlement pour l’abatage dans les forêts privées, et du soutien technique apporté aux inspecteurs chargés de l’application des règles en matière d’abatage d’arbres (MRC de Papineau) les MRC sont également responsables de la gestion des TPI et du programme de mise en valeur des ressources du milieu forestier (MRC de Manicouagan, Papineau et Témiscouata). Elles participent aux tables GIR (MRC de Témiscouata). La MRC de Macouagan participe en outre aux processus de certification forestière des entreprises opérant sur le territoire de la MRC. Elle collabore également au processus de consultation publique des plans d’aménagement des unités territoriales sous sa responsabilité. La MRC de Papineau, quant à elle, en plus de ses responsabilités, offre un appui politique aux demandes de subventions pour la modernisation, aux demandes d’octroi de volume supplémentaire de terres publiques et de biomasse forestière faites par les organismes sur son territoire (pourvoirie, organisation de plein-air) auprès du gouvernement. La MRC de Vallée-de-la-Gatineau souligne qu’elle est en charge du développement de la villégiature, de celui de la culture de produits forestiers non-ligneux et de la location de terrains.



7. Évolution des Pratiques en Lien Avec la Forêt

L’implication des MRC dans la gestion des TPI découle généralement d’un besoin en rapport à l’importance de la ressource forestière exprimé par les municipalités (MRC de Témiscouata et de la Vallée-de-la-Gatineau) ou leurs partenaires (MRC de Manicouagan et de Papineau) auprès du gouvernement. Les MRC en charge de TPI ne semblent pas éprouver de difficultés particulières à intégrer leurs nouvelles responsabilités en termes de gestion des forêts publiques avec leur mandat d’aménagement du territoire. La MRC de Papineau fait toutefois face à quelques difficultés partiellement liées aux caractéristiques de la MRC. En outre, bien que la MRC traverse relativement bien la crise forestière, les forêts des TPI de la région sont dégradées et le capital forestier est à reconstruire. Le couvert forestier est en majorité constitué de feuillus. Face à ces enjeux avec laquelle la MRC doit désormais composer, elle se retrouve avec beaucoup de responsabilités, mais les ressources humaines et financières ne suivent pas. Il se pose par ailleurs dans la MRC de Papineau le problème du partage des voies municipales qui subissent une usure prématurée en raison du transport des bois. Le partage des coûts de restauration et la notion d’utilisateur-payeur n’étant pas clairement définis, le partage des voies municipales est quelque peu problématique. Néanmoins, les nouvelles activités et responsabilités de la MRC ont eu comme avantage d’apporter de nouvelles compétences au sein de l’équipe de gestion de la MRC.

Dans la MRC de Manicouagan, toutefois, les responsabilités en matière de gestion des TPI s’articulent bien avec les responsabilités en matière d’aménagement territorial et de développement économique de la région puisque les revenus de l’exploitation des TPI sont réinvestis dans le milieu par le biais de subventions pour la mise en valeur du territoire. Il en va de même dans la MRC de la Vallée-de-la-Gatineau où les retombées économiques annuelles de l’activité forestière municipale sont de l’ordre de 1,2 million de dollars. Pour la MRC de Témiscouata, les TPI sont primordiales pour accroitre leur expertise et leur influence auprès du MRNF. L’expérience des TPI a pour effet d’améliorer les compétences de la MRC en matière de gestion, notamment parce qu’elle a permis la mise en place d’un service forestier qui s’est transformé en service multi-ressources.

Enfin, il est intéressant de noter que contrairement aux MRC qui ne sont pas en charge de TPI et qui admettent que l’influence de la MRC se limite à un niveau régional, les MRC en charge de TPI estiment que l’influence de leur MRC est grandissante et se fait ressentir au niveau provincial. Ceci suggère que la gestion des TPI offre une visibilité et des opportunités d’expression qu’elles n’avaient pas forcément auparavant. Toutes les MRC ayant des terres publiques sur leur territoire sont amenés à côtoyer plusieurs usagers de la forêt et organismes ayant un intérêt dans la forêt. Les relations et la coordination entre les différents acteurs de la forêt varient d’une MRC à une autre. Aucune ne rapporte de conflits majeurs entre les différents acteurs et la MRC. Toutefois, les communautés autochtones ont choisi de faire valoir leurs droits par la voix des tribunaux. D’autre part les municipalités manifestent peu d’intérêt pour la question de la gestion des TPI. Aussi, malgré les sessions de consultation publique, ces dernières participent peu à la gestion des forêts. Les tables GIR ne sont pas encore en place dans la MRC et cette dernière a été contrainte de suspendre son projet de forêt habitée.

Dans la MRC de Papineau, bien que la MRC doive parfois encourager les municipalités à s’impliquer davantage dans le développement du secteur forêt, les relations entre la MRC et les autres usagers sont basées sur la recherche d’un consensus. Toutefois les tables GIR ont connus beaucoup de ratés faute d’harmonisation entre les acteurs. La MRC de Papineau tente de développer un partenariat avec les différents organismes en place. Leurs relations actuelles se limitent toutefois à l’appui politique et à l’octroi de subventions fournis par la MRC à ces organismes. En outre, la MRC de Papineau développe un partenariat avec l’agence de mise en valeur des forêts privées de l’Outaouais permettant notamment de mettre les propriétaires privés en relation avec des conseillers forestiers accrédités par la MRC.

Dans la MRC de Témiscouata, malgré les divergences occasionnelles de points de vue, la MRC s’efforce de travailler en étroite collaboration avec les différentes municipalités pour la défense des intérêts communs. La MRC d’Argenteuil mentionne qu’il existe un bon climat de confiance entre la MRC et les différentes municipalités. N’étant pas en charge de la gestion des TPI, elle se contente de fournir aux différents acteurs de la forêt, l’information nécessaire à leurs activités. La MRC de la Vallée-de-la-Gatineau quant à elle, pour atteindre une meilleure coordination entre les acteurs, privilégie les discussions continuelles entre les divers acteurs. Elle a entrepris un processus de rapprochement avec les communautés autochtones (qui, bien qu’il s’avère lent pour le moment, mérite d’être souligné). En outre, elle entretient des échanges avec trois autres MRC de la région de l’Outaouais, dans une logique d’apprentissage et de partage des connaissances à partir de l’expérience de chacune.



8. Les MRC et les Politiques Forestières

Les MRC, qu’elles soient responsables de la gestion des TPI ou non ont un avis favorable face aux modifications transformant la politique forestière au Québec ces dernières années. Ces modifications sont à l’origine de l’amélioration de la protection des sols et des eaux, et contribuent à revaloriser l’image que se fait la population des compagnies forestières. Elles ont permis l’amélioration du niveau consultatif et de la participation des divers usagers de la forêt. Ces modifications ont contribué à une meilleure conscientisation des intervenants dans le cadre de la protection des forêts. Leur impact sur les pratiques effectives de gestion est néanmoins à surveiller pour les années à venir. Enfin, malgré leur contribution positive au développement du secteur et à la gestion des problèmes soulevés par la crise forestière, les modifications apportées à la politique forestière doivent se poursuivre car cette dernière laisse encore des concepts non clarifiés tel que par exemple le concept de forêts de proximité. En outre la politique actuelle laisse encore peu de latitude aux régions en matière de prise de décisions.

Une autre caractéristique majeure du régime forestier actuel est la mise en place des CAAF pour remplacer l’ancien système de concessions forestières. Tous les représentants interrogés pour les MRC qui se sont prononcées sur la question jugent que le système de CAAF constitue une amélioration du régime forestier par rapport aux anciennes concessions forestières, en particulier parce que les MRC ont désormais la possibilité d’émettre leurs avis en matière d’aménagement. Toutefois le représentant interrogé de la MRC de Papineau estime que le système des CAAF demeure encore bien limité car il se base sur une approche fortement normative des traitements forestiers et laisse peu de place aux initiatives. De plus avec les CAAF, la prise en charge, le traitement, l’éducation à long terme des peuplements forestiers juvéniles ne va pas de soi pour les titulaires de CAAF : Le système des concessions forestières avait ceci de bon : le gestionnaire – ou l’industriel forestier- effectuait la récolte en sachant que ce serait lui qui reviendrait sur le même territoire dans 25-30 ans. Or, le système des CAAF ne laisse aucunement envisagé une telle perspective (i.e. : le gouvernement attribue un volume de bois, et non un territoire). Le soin laissé à la planification des récolte, la réalisation du réseau routier, l’urgence ou même la pertinence de réaliser les traitements sylvicoles en vue d’éduquer les peuplements forestiers juvéniles est conséquente à ce constat.

La commission Coulombe, a été chargée d’examiner la gestion de la forêt publique au Québec. Cette commission scientifique, technique, publique et indépendante a terminé son mandat en 2004, en présentant un rapport dans lequel elle dressait l’état de la gestion des forêts publiques et présentait ses recommandations en vue de bonifier le régime forestier actuel dans une perspective de développement durable (Commission d’étude sur la gestion des forêts publiques québécoises, 2004).



9. Conclusion

Les pratiques de gestion des forêts publiques ont bien évolué au Québec au cours des dernières décennies. Autrefois essentiellement axée sur un modèle de gestion industrielle dont la principale préoccupation était économique et qui était centralisé aux mains des grands acteurs sectoriels comme l’État et les grandes compagnies forestières, la gestion des forêts publiques tend désormais vers un modèle de gestion intégrée qui tient de plus en plus compte des différents intérêts reliés à la forêts et interpellant les organismes régionaux et les populations vivant dans et de la forêt. Dans ce nouveau modèle de gestion, de nouveaux acteurs comme les MRC sont appelés à jouer un rôle de plus en plus marqué dans la mise en place, le renforcement, l’amélioration et le maintien de la gestion intégrée. Les MRC, notamment par la prise en charge de la gestion des TPI, ont le potentiel de développer des pratiques novatrices de gestion. Néanmoins les initiatives et les nouveaux modes de gestion qu’elles permettent de mettre en place sont encore fortement entravés par le poids que les grands acteurs sectoriels conservent en matière de gestion des forêts publiques. En effet, comme le souligne les études de cas ayant soutenu cette analyse, le développement de pratiques novatrices de gestion demeure limité et/ou découragé par l’absence de ressources (main-d’œuvre qualifiée, ressources financières) pour soutenir les initiatives et par la lourdeur du système de normes et de règlements mis en place par les différents ministères pour la forêt publique. De plus, les objectifs de rentabilité économique et les orientations de l’industrie forestière sont bien présents dans la gestion décentralisée des TPI et pose souvent un frein à l’émergence d’activités d’exploitation forestière novatrices.

La gestion intégrée des ressources du milieu forestier nécessite également l’harmonisation des relations entre les différentes parties prenantes ayant un intérêt dans la forêt. Toutefois l’expérience des MRC démontre que la mise en place des outils de gestion intégrée n’est pas toujours aisée. La coordination entre les acteurs dépend des particularités propres à chaque région et de l’implication effective de chacun de ces acteurs dans l’atteinte d’une meilleure synergie. L’étude des MRC met en lumière une diversité de points de vue d’une région à une autre; diversité qui témoigne de la variabilité des priorités régionales et des intérêts. Ceci illustre la complexité inhérente à la gestion des forêts publiques. Des acteurs comme les communautés autochtones, les coopératives forestières et les associations locales sont également de plus en plus impliquées dans la gestion des forêts publiques. L’impact de ces derniers sur l’évolution des pratiques de gestion forestière constitue une perspective d’étude intéressante.



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1 Professor, PhD, University of Ottawa, ExpertActions Group & World Bank, Canada, Address: 75 Laurier Ave E, Ottawa, ON K1N 6N5, Canada, Corresponding author: walter-gerard.amedzro@hec.ca.

2 PhD, Université du Québec en Outaouais, Canada, Address: 283 Boul Alexandre-Taché, Gatineau, QC J8X 3X7, Canada, E-mail: walter-gerard.amedzro@hec.ca

AUDA, vol. 8, no. 1/2016, pp. 70-90

3 Les MRC sont des institutions supra-municipales créées en vertu de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme (L.R.Q., c. A-19.1). Leur responsabilité se sont étendues à plusieurs domaines, notamment ceux nécessitant une intervention commune de plusieurs municipalités. Elles avaient initialement comme mandat principal, l’aménagement du territoire. Elles sont reconnues comme le lieu de décision concernant les orientations de développement local en matière d’aménagement.

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